jeudi 25 mars 2010

♫ Des rastas éclatés c'est chaud dans le ghetto ♫

Eh ben dis donc, je sais pas ce qu'ils font à bouffer les voisins, mais ça sent bizarre, me disais-je. Mais j'étais prise par l'intrigue du bouquin et confortablement installée sur le lit de mon studio algérois. Trois pages plus tard, je me décide à aller leur dire que décidément, ils ont oublié une casserole sur le feu, le dîner va être raté (tu vois l'arrogance un peu, alors que question cuisine, enfin bref). Je relève la tête : ah ben ça se confirme, y a de la fumée dans l'appart...J'te jure, ce que les gens peuvent être distraits.

J'ouvre la porte, je ne vois plus rien. Ou plutôt si : un nuage de fumée noire, d'un bout à l'autre du couloir. Putain mais y a le feu ! J'enfile un jean et des tongs (erreur, tu verras), j'attrape mon sac et j'entame la descente. Oh je sais, je sais, quand y a le feu, faut se calfeutrer chez soi et attendre gentiment les pompiers. Mais j'aurais aimé t'y voir. Evidemment, pour arranger les choses, j'habite au septième étage. Je ne vois rien, la lumière de mon téléphone portable ne traverse pas l'écran noir, je ne vais pas pouvoir rester en apnée bien longtemps...La panique est à son comble, je n'arrive pas à localiser le feu, s'il me bloque la route je vais crever là, on est à Alger bordel, jamais les pompiers ne viendront me chercher. Ou trop tard. Les yeux qui pleurent, la gorge qui pique, combien d'escaliers descendus, au moins l'équivalent de ceux de la tour Eiffel, ça fait trois plombes que ça dure, suis-je déjà en enfer ? On dirait que ça se dégage, je reprends mon souffle, l'éphèbe qui joue au foot dans le couloir soir et matin, qui a graffité sur mon palier "Chinoise...je te déteste" suivi d'un petit coeur (comprenne qui pourra), m'attrape par le bras en disant Il ne faut pas rester là madame, je suis tellement contente de voir un être humain, je continue la descente, enfin la rue.

La nuit commence à tomber, des hommes vont et viennent avec de minuscules extincteurs, trois quarts d'heure s'écoulent avant que les pompiers ne s'activent. La rue est au spectacle. Sauvée, je suis sauvée, je suis miraculée, à qui dois-je dire merci, à quelle religion dois-je me convertir, ma vie, ma précieuse vie.

Bon alors autant te dire qu'une fois que tu es sauvé, le naturel revient au galop et tu te mets à penser aux 700 euros qui tu as laissé dans le studio, tu les imagines se consumer petit à petit, enflammer les fringues et toutes tes maigres affaires de voyageuse. Eh oui, si ça se trouve, il ne te reste rien d'autre que ce que tu as sur toi, c'est le moment de l'inventaire : tu as ton sac à main, bon, mais y a quoi dedans ? Une photocopie de ton passeport (l'original est dans la doublure de ton sac de voyage...), une carte bancaire, une clé USB, un téléphone, 1000 dinars. Question habillement : un jean, un tee-shirt, des tongs et oh mon dieu, mon dieu, mon dieu, je crois que je vais redevenir athée...j'ai enfilé des tongs alors que j'étais en chaussettes...Rien ne me sera donc épargné.

Au pied de l'immeuble, des groupes se sont formés, les femmes plutôt d'un côté, les hommes plutôt de l'autre. Mais à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, les groupes ne sont pas totalement étanches. C'est l'immeuble Yacoubian ici ! Tout ceux avec qui je discute me disent : j'habite au troisième, j'habite au quatrième, j'habite la porte à gauche, et si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous êtes la bienvenue. Deux heures passent, on croit savoir que le feu a pris dans la cage d'ascenseur désaffectée et que ça a fait cheminée. Un quinquagénaire m'offre une clope, mi-sérieux, mi-plaisantin. Je l'accepte avec reconnaissance, les vieilles, choquées, s'éloignent de plusieurs pas.

Enfin les pompiers donnent le feu vert. Les escaliers sont inondés (pratique en tongs), chacun s'apprête à constater les dégâts. Sur le palier du septième, l'éphèbe me dit Bonne nuit, je rentre.

Tout est intact, une légère odeur de fumée. C'est terminé, je me mets à trembler.

mardi 2 mars 2010

♫ I'm a Vietnamese in Alger ♫

Pas facile d'être une femme seule à Alger, et asiatique de surcroît. Tout le monde me mate dans la rue ! Et du monde, crois-moi qu'il y en a un sacré paquet ici. On frôle l'embouteillage piéton.

Je vais taffer à pied et les premières fois j'ai compté : sur un trajet d'environ 30 minutes, pas moins de 15 Ni hao ! et autres Chinoise, Chinoise ! voire Japonaise ! Oppressant parfois, au point qu'il te vient l'envie d'en saisir un par le col en hurlant : DEJA JE SUIS VIETNAMIENNE, GARS, ET ENSUITE EST-CE QUE JE TE CAUSE MOI ? EST-CE QUE JE TE REGARDE ? ALORS LACHE-MOI DEUX MINUTES TU VEUX ? Et deux minutes c'est en effet le laps de temps maximum avant que ne fuse un nouveau Ni hao ! Aaargh...

Cependant, il faut le noter, pas de regards hostiles ni d'attitudes de rejet. Bien au contraire, des commentaires plutôt agréables, du Ah pas mal...au Ravissante...Et même, allez j'avoue, la tentation d'engager la conversation avec un gosse beau ou l'autre...

Pas facile donc d'être une femme seule à Alger, mais j'y étais préparée, ça faisait partie du challenge. Ce à quoi je m'attendais moins, c'est l'accueil exceptionnel qu'on te réserve dès lors qu'a lieu une rencontre sans arrière-pensée sexuelle.

L'autre jour c'était Mouloud, la fête de la naissance du prophète (une sorte de Noël quoi). Invitée pour l'occasion chez une famille algérienne, j'ai eu l'honneur de partager avec elle la rechta, le plat traditionnel (une tuerie), avant qu'on ne s'installe sur le balcon, avec vue panoramique sur Alger by night, aux sons des pétards et aux couleurs des feux d'artifice sauvages. Pour finir, un peu de henné au creux de la main pour la baraka !

Et des gens aux petits soins, qui téléphonent juste pour s'assurer que tu as de quoi manger, qui te couvrent de cadeaux alors que leur salaire est dix fois inférieur au tien, qui ont une curiosité d'autrui et une soif d'échange. Sans compter qu'ici c'est presque l'été. Enfin tu vois je kiffe !

Un voeu pieux toutefois : que le muezzin à 6 du mat la mette en sourdine, merci.