J’avais
cru Titus découragé par mes réponses espacées et peu enthousiastes, c’était mal
le connaître. Après quelques jours de pause, il était reparti de plus belle, me
racontant les petites choses de son quotidien, m’envoyant des messages aux
moments clés du mien – par exemple : Ton
week-end commence vraiment, alors que je venais de déposer mademoiselle A
chez son père – montrant avec empathie qu’il se souvenait parfaitement de tout ce
qui me concernait.
Ce n’était pas facile d’être amoureuse de E. car il était
doté d’un jet très puissant. Un jet de douche écossaise je veux dire. Passant
de plusieurs mails par jour, au point que nos échanges relevaient plus du chat
que de la messagerie électronique, à quelques mots laconiques. Soufflant le
chaud, à base d’allusions sexuelles toujours drôles, et le froid, à base de
J’ai piscine en réponse à des propositions de rendez-vous. Je croyais
comprendre qu’en tant que célibataire amateur de musique, d’art et de sports,
E. avait un agenda culturel bien rempli qui laissait peu de place à une vie,
sans même parler de sentimentale, ne serait-ce que sexuelle. Une fois par
semaine mais pas deux. Cela ne tombait pas si mal car j’avais moi-même peu de disponibilités.
Et je trouvais que les moments d’attente et de montée étaient presque aussi
bons que nos retrouvailles. Comme je lui proposai Samedi ? il reproposait
Mercredi, en raison d’un tennis dominical, et je trouvais cette solution
heureuse, car la perspective, même incertaine (qui savait ce qu’il pouvait bien
prévoir de faire en cette Toussaint ?), de se réveiller ensemble et
d’avoir un peu de temps, valait bien le report (d’autant que j’avais oublié que
je devais avoir mes règles. Je préférais être en accessibilité universelle pour
E.).
Ce week-end-là je prévoyais de ne
rien faire, un cinéma, du repos, des choses calmes et non alcoolisées. Mais Titus
envoyait un SMS signifiant qu’il espérait vivement me voir très prochainement
et je lui proposais de venir prendre un verre à la maison. J’avais mes règles,
donc, et pas envie de lui sexuellement
et je pensais que ce serait l’occasion de donner à notre relation une tournure
amicale. Après plusieurs verres et beaucoup de musique, il était l’heure
d’aller danser, j’étais motivée, Titus suivrait quoi qu’il arrive.
Et puis ça
bascule, évidemment.
Brusquement, vers 3h, 4h, je ne sais pas, un homme
m’accoste alors que je quitte la piste de danse pour fumer une clope. Hey, tu
tapes toi ? Comme je réponds positivement, il enchaîne Viens, on fait le
tour du pâté de maison, mets ta main comme ça. Il en verse un peu dans le creux
entre mon pouce et mon index, je renifle, c’est cool. En fait ils sont deux, l’espèce d’Huggy les bons tuyaux juvénile, sec
et nerveux, qui rabat le gibier, et son
acolyte, plus baraque, plus grave, le boss, celui qui me veut. Ils proposent
qu’on continue la soirée chez moi. Par la cocaïne alléchée, j’accepte, à
condition que Titus vienne avec nous. Dans mon salon je prends fugacement
conscience que c’est n’importe quoi, que j’ai pris des risques inconsidérés,
que ça peut être des vrais méchants (Big Boss est en sursis, de combien,
pourquoi, il ne développera pas) qui ne me veulent aucun bien, que je suis très
conne décidément. Mais on tape, sauf Titus, elle est bonne, Big Boss a pris le
contrôle de l’ordinateur à base de gros rap qui tache, il tente une prise de
contrôle sur moi-même mais je l’ai déjà briefé, rien à espérer ce soir. J’ai de
nouveau des visions sanglantes et comme des petits frissons intérieurs.
Et
puis, de façon inattendue, ça rebascule.
Les gars sont passés à Boris Vian, et
on danse en tourniquette pour faire la vinaigrette. S’ensuit une session free style impro à base de Gainsbourg
et Dalida…Une espèce de communion surréaliste. Il fait jour depuis longtemps, je dois gérer ma
descente avant le retour de mademoiselle A. Big Boss, en descente de MD pour sa
part, s’est endormi comme une souche sur le canapé. Je me mets au lit avec
Titus pendant qu’Huggy l’insomniaque reste aux commandes. Vers midi Titus se lève
pour aller bosser, il met tout le monde dehors selon mes indications, Big Boss
prend mon numéro et mon écharpe en otage.