mercredi 22 novembre 2006

Entre nous soit dit...gestif

Chez moi c'est une tradition (du latin tradere, transmettre). Le jour où je dois rencontrer mon bien-aimé chef de service pour un entretien annuel tout aussi traditionnel, on peut observer un phénomène physiologique plutôt désagréable. Et ce en dépit de toute variation. Je veux dire, ça peut se passer un mardi, un vendredi, un lundi (tu comprends le principe ?), ça peut être avec monsieur X ou avec madame Y, y a rien à faire, je n'y échappe pas.

Mais non c'est pas le trac. Le trac...on aura tout vu. Tu sais ce que c'est un entretien annuel ? Le synonyme le plus satisfaisant, ça doit être mascarade. Alors tu vois, trop la teuf au bal masqué ! Non, ce qui se répète comme une erreur qu'on doit bien l'aimer finalement si elle se répète (oui bon alors viens pas étaler ta névrose merci) (je me parle à moi-même, ne te sens pas spécialement visé), pile poil ce jour crucial entre tous pour ma carrière brillantissime...c'est une bonne vieille gueule de bois des familles.

Mon premier chef était un bonhomme paternaliste qui posait des questions perso. Moi j'esquivais mais il avait pas peur d'être lourd, il y allait franco le gaillard, genre je m'intéresse. Et vous venez d'où ? Bon d'accord, ça c'est pas hyper perso. En même temps ça le regarde pas d'où je viens. J'arrive de mon bureau, là, t'es content ? Et vos parents ? Quoi mes parents ? comment tu parles de ma mère toi ? Sûr, il est important, d'un strict point de vue professionnel, de savoir de combien d'éléments se compose ma fratrie, non je comprends tout à fait, vraiment. En plus j'ai que ça à foutre de passer deux heures (ouais il faisait traîner, un truc de malade) ici alors que je pourrais tranquillement finir ma nuit, la tête bien calée dans ma main, les yeux baissés sur une quelconque paperasse, l'air concentré (ça sent le vécu ? Ah non je t'assure, je dois bien raconter alors parce que c'est que des ouï-dire, pas du tout mon genre).

Après j'ai eu une cheftaine. Non, pas les scouts. Une chefesse, ouais, si tu veux...Alors elle je l'aimais pas. Et elle me le rendait bien. C'était la guerre froide. Deux blocs s'affrontent dans une course à l'armement aussi vaine qu'obstinée.

La veille de l'entretien, je me retourne la tête avec une amie. Nous étions synchro question célibat et on en profitait bien. Pour te dire, j'avais presque l'impression qu'on vivait ensemble. On rentre à quatre pattes, normal, on fauche une petite plaque de rue, ni vu ni connu...

Oui bon, toi aussi t'as eu une folle jeunesse non ? Non ? Ben il est temps de s'y mettre...Sinon un jour tu le regretteras, je dis ça pour toi...Écoute mémé un peu, sois gentil...Et...oui voilà, c'était l'époque où on sortait jamais sans un bon tournevis...et donc on rentre dormir chez elle...Je crois même que c'est ce jour-là qu'on a ramené, tu sais, les trucs là, sur roulettes, où ils mettent les journaux gratuits pleins de petites annonces. Oui c'était pas discret. Pas du tout encombrant. Et du plus bel effet dans son salon...Quand j'y pense, on devait être belle tiens...On donnait également dans le panneau de signalisation...Mais des fois on restituait, une fois retrouvée un semblant de lucidité, parce que bon, c'est sympa ce triangle jaune mais on en a déjà trois...

Le lendemain je m'extirpe du pieu, à peine le temps de passer sous la douche, je renfile mes fringues un peu crado de la veille, genre le jean grisâtre, tu vois, trop mimi hein (et puis on fait pas la même taille, elle pouvait pas me prêter) et je vais à ce putain d'entretien avec l'autre mégère psycho-rigide. La torture. Même pas parce qu'on s'est foutu sur la gueule, non. Enfin je sais plus trop, ça remonte...Mais ce dont je me souviens bien, c'est que ma seule préoccupation, tout du long, c'était de maîtriser ma nausée et de pas gerber sur son bureau. Remarque, c'eût été plus honnête niveau sentiment à son égard.

Puis un autre chef de sexe féminin. Gentille et tout. La nana que tu peux pas dater. Encore jeune mais qui fait vieille mais qui vieillit plus. C'est dur à expliquer. Fascinant. Bon ce jour-là j'y prête pas tellement attention parce que je sors d'une nuit totalement blanche, pas une once de sommeil, que de la danse et de la picole. Je tremblote de fatigue. Et surtout je ne parviens pas à me concentrer sur les mots qui sortent de sa bouche, je capte rien. Heureusement c'est un entretien détourné vu que je débarque dans le service (et c'est pour ça que je suis présente, c'est quasiment mon premier jour. Sinon tu penses bien, je me serais mise au lit), elle me fait plutôt une présentation, et tant mieux, il me suffit d'acquiescer de temps en temps, pas trop la peine de participer. Sauf qu'elle a pleins de trucs à dire, ça n'en finit plus, et moi, bercée par son monologue lénifiant, je commence à piquer du nez, les yeux qui se ferment malgré toi, tu sais, comme en voiture, quand tu te dis Ouh je suis fatigué moi et en fait tu dors deux secondes toutes les cinq secondes...Et là elle me dit Tu veux un caramel ?

Bon ben aujourd'hui c'était le jour J. Et si t'as suivi, tu sais que hier je suis allée au pot de l'Écrivain. Au départ je voulais juste boire un verre, et puis tu sais comment c'est, tu te laisses entraîner et tu t'estimes encore heureux de choper le dernier métro. Ouais mais après y a le nouveau bar qui me tend les bras. Et le gars sympa de la dernière fois qui écrit dans mon carnet Grand-père disait : j'aime la lune qui domine, qui me regarde et qui espionne les rêves de mes nuits. Rayons de bonheur. Bref. Consumé. J'aime les fleurs et celles qui aiment les fleurs. Y a le charmant charmeur chilien aussi, qui revient d'une soirée un peu merdique. Bref quand je rentre dans le bureau de mon chef actuel (une migraine mon vieux, j'ai dû boire de la bière frelatée, c'est pas possible), je me dis que la vie est pas simple pour ceux qui se la compliquent.

Le plus étonnant dans cette affaire (et s'il te plaît ne viens pas me dire que t'as comme l'impression que je suis souvent en gueule de bois. C'est faux tu entends ? Je te parle d'entretien annuel. Pas d'entretien hebdomadaire, ni quotidien. Alors t'en déduis quoi ? Exactement, j'ai une gueule de bois une fois par an, merci d'y croire), c'est que non seulement ils n'ont pas l'air de se rendre compte qu'ils ont devant un une alcoolique mondaine au dernier degré (non mais n'appelle pas la SPA tout de suite, je survivrai) mais qu'en plus, quand ils rédigent leur appréciation, ils mettent n'importe quoi (mascarade je te dis), à croire qu'ils tirent au sort (ou le plus bourré des deux n'est pas celui qu'on croit), exemple véridique (j'aurais pas pu l'inventer) : Ada est ponctuelle.

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