vendredi 30 avril 2010

"Heureux les simples d'esprit car le royaume des cieux leur appartient"

Quand on m'a invitée à la fête de circoncision de son neveu, j'ai tout de suite accepté. Dans le petit salon, les filles m'interrogeaient sur mon mari (eh oui, on m'avait décrétée mariée, pour pas choquer les vieilles ni donner le mauvais exemple aux jeunes). Je ne prétends pas être une lumière en histoire-géographie, loin de là. Et je sais bien que tout est question de point de vue. Figure-toi que ma cousine d'Amérique n'a jamais entendu parler du Sahara. Alors c'est pas parce que ma copine ne situait pas les Antilles que j'allais lui jeter la première pierre de l'Intifada.

En plus j'avais été préparée. Pendant qu'on faisait la vaisselle dans la cour (une bassine pour le décrassage, une bassine pour le savonnage, une bassine pour le rinçage, attention ça rigole pas parce que l'eau c'est pas si courant là-bas), une jeune fille hospitalière et soucieuse d'établir le contact avait entonné : ♫ et moi je suis tombé en esclavage ♫. J'avais poliment enchaîné : ♫ de ce sourire, de ce visage ♫. Elle avait achevé : ♫ et je lui dis Emmène-moi ♫. Après m'avoir expliqué à quel point elle aimait Pierre Bachelet, elle s'était enquis de mes origines. Le Viêt Nam ? réfléchissait-elle tout haut, ah oui Hiroshima. Non belle enfant, tu confonds (pense Hiroshima-Hirohito la prochaine fois) . Le Viêt Nam, te dis-je. Ah oui, le Viêt Nam, Gandhi bien sûr. Toujours pas non (essaye Gandhi-Gange peut-être). Le Viêt Nam bon sang, l'Indochine, la guerre d'indépendance, Ho Chi Minh, les Américains. Une colonie française, comme l'Algérie, ça ne te dit rien ?

Dans le petit salon donc, rebelote, avec les Antilles. Vous voyez Cuba ? eh ben par là quoi, les Antilles françaises, l'esclavage, tout ça. Ah. L'esclavage ça fait dresser l'oreille de ma copine.
Mais il est comment ton mari, physiquement ?
Noir.
Noir ?
Oui noir.
Mais noir noir ? (Toute ressemblance avec un sketch existant ou ayant existé est bien évidemment fortuite car à ce stade je commence à trouver ça moyennement drôle)
Oui oui, noir noir.
Noir ??? (main sur le coeur, souffle court). Noir ? mais il faut me prévenir que je me prépare psychologiquement quand il arrivera.
Lisant sur mon visage que je suis extrêmement choquée, elle change de sujet puis revient à la charge un peu plus tard : Tu sais, nous aussi on en a des noirs ici, c'est pas grave qu'il soit noir ton mari (Putain mais arrête, tu t'enfonces là), le Coran dit qu'on est tous des frères. Certes certes.

Pendant ce séjour, j'ai à plusieurs reprises été confrontée à ce genre de situation où tu as du mal à faire la part entre l'ignorance, l'écart culturel et la connerie. Autant sur le racisme, je ne lâchais pas ; autant sur la religion, ça m'a vite fatiguée. Lorsque mon accompagnateur, sur les hauteurs de Notre Dame d'Afrique affirmait, dogmatique, que nous descendons tous d'Adam et Eve, je n'ai pas contré son créationnisme par une théorie de l'évolution qui ne l'aurait de toute façon pas convaincu. A Tipaza, les tombes de la nécropole romaine paraissent petites pour des adultes et grandes pour des enfants. C'est normal, avant ils étaient plus petits. Ah ben non, dit la copine (pas la raciste hein, une autre), avant ils étaient plus grands. Non tu te trompes, l'homme est plus grand aujourd'hui. Mais non, c'est écrit, même dans la Bible, avant les hommes étaient des géants. Mais oui bien sûr, et bientôt tu vas me dire qu'ils vivaient mille ans aussi non ? Exactement, comme Mathusalem. Ok, l'homme rapetisse et perd en espérance de vie, allez viens on va voir la mer (le long des golfes un peu obscurantistes si tu veux mon avis).

Alors à la fête de la circoncision (on passe au grand salon, ça joue de la derbouka, ça commençe à danser et ça y va les youyous), je prends tout avec philosophie. Quand on me demande quelle est ma religion, je sens le truc mais je laisse venir. Comme on s'étonne avec pitié (pas de religion...quelle misère...comment tu t'occupes dans la vie alors ?), je souris. Je parle du bouddhisme de mes ancêtres et de mon athéisme. Le ton légèrement inquiet se veut convaincant, pour mon bien : ne pas croire en Dieu c'est le pire. Même juif c'est moins grave. L'Islam veut bien tolérer toutes les religions mais pas de Dieu du tout, c'est vraiment pas possible. On m'engueule, carrément : comment tu crois que t'es arrivée là ? et la nature ? les animaux ? tout ce qui est sur terre ? Si c'est pas Dieu qui a créé tout ça, c'est qui ? Et, clou du spectacle : Non mais t'as réfléchi cinq minutes ? Cette fois j'éclate de rire. On est tous l'imbécile heureux d'un autre et ce soir c'est mon tour ? Très bien je le note.