Depuis que j'ai décidé de me séparer de E. en novembre dernier, ma vie sentimentale et sexuelle est égale à zéro (juste une nuit avec l'Écrivain et des petits câlins avec le charmant charmeur chilien). Il va me falloir du temps je crois. En attendant je lui écris des
lettres que je ne lui envoie pas.
Printemps
2015. Sortie des classes, nous marchons et discutons de choses et
d’autres quand soudain mademoiselle A. s’exclame, comme si elle redécouvrait
la cachette d'un trésor : « Maman, tu te souviens
de E. ?! Tu crois qu’il va venir dans la
nouvelle maison ? ». Je ne sais plus quel était le
sujet de la discussion qui précédait. J’aimerais connaître son
cheminement, par quelle association d’idées elle en est venue à
penser à toi, qu’elle n’a pas vu depuis plusieurs mois et dont
je ne lui parle jamais.
Très
souvent dans la rue, surtout dans le quartier latin, mais pas
seulement, un peu partout, je crois te voir. Un grand mince coupé
court, une silhouette qui pourrait être la tienne de loin. Mais non.
Ce garçon avec un casque sur un Vélib, tendant d’abord son bras à
droite pour tourner rue de la Sorbonne, puis à gauche pour indiquer
qu’il va se garer, c’est toi ?
2
juillet 2015. Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder autour de
moi dans la fosse et en haut au balcon, même s’il était très peu
probable que tu sois dans l’assistance. Je cherchais comment
tourner le SMS que je t’enverrai après, je voulais te dire que
Matthew E. White avait fait un cover du Velvet juste au moment où
j’entrais dans la salle et qu’Andrew Bird était parfait. Je me
suis sentie mal, j’ai dû sortir un peu avant la fin, j’ai raté
le rappel que j’ai suivi depuis l’écran du bar. Après la
deuxième bière j’ai oublié le SMS.
11
juillet 2015. J’ai vomi dans une voiture le 31 décembre et à une
soirée d’anniversaire le 17 janvier (B. m’en parle
encore). Depuis je fais très attention à ma consommation d’alcool.
La soirée se passe bien, je commence au rosé-pamplemousse,
j’enchaîne avec du vin rouge et je mange. Il y a ce garçon qui
reste au fond près de la bibliothèque, il parle avec la maîtresse
de maison, il semble ne connaître personne à part elle. Il ne danse
pas vraiment, sauf au refrain où il se met à sautiller la main en
l’air. Il est beau. Je sais qu’il me regarde de temps en temps.
Il y a beaucoup de monde entre nous mais le rapprochement va avoir
lieu sous peu. On se frôle, on s’emmêle, on s’excuse autour du
buffet (il se sert du fromage, moi de la salade de fruit). Je sais
qu’au prochain round on entamera la conversation. J’entrevois les
possibles. Mais je m’enfuis comme une voleuse, tout me paraît trop
compliqué, il est probablement un peu plus jeune que moi,
probablement sans enfant, pourquoi je pense à ça, le simple fait de
faire connaissance me paraît insurmontable. Je rentre seule par le
dernier métro.
Évidemment
je rêve de toi. Une sorte de compétition sportive, avec des
épreuves successives. Il y a un contact physique entre nous, on se
serre l’un contre l’autre, un moment très tendre, une douce
chaleur qui persiste après le réveil. Le rêve s’achève sur
l’image d’un train par lequel tu pars.
20
juillet 2015. J'ai pris quelques kilos depuis que j'ai arrêté de
fumer en décembre dernier. Je décide de ne plus prendre le bus pour
faire un minimum d’exercice. Comme chaque fois que j’emprunte la
rue Adolphe Adam je me souviens de ce soir d'été où tu avais pissé
à l’abri d’une des alvéoles.
Juillet
2015. Les premières pages de Standard de Nina Bouraoui me font
penser à toi. Tu ne trouverais pas ça flatteur. Le personnage est
handicapé avec les femmes et il n'aime pas leur odeur. Il ne te
ressemble pas spécialement mais souvent il suffit d'un détail. Même
les programmes télévisés peuvent me ramener à toi. Une diffusion
de Paris Texas, un match de rugby. Il y a une émission sur les
volcans samedi prochain sur Arte, je me demande si tu le sais et si
ça t'a fait penser à moi.
28
juillet 2015. Rêve de fin de nuit transcrit au réveil. Tu es torse
nu. Il y a un petit animal dans les parages, sans doute un chat :
c'est pourquoi je te serre dans mes bras, je te dis « ne
t'inquiète pas ». Tu me serres en retour pour me montrer que
tu ne t'inquiètes pas et que tu t'excuses d'avoir pu paraître
inquiet. Tu enfiles une chemise grise et pendant que tu ajustes le
col, je peux lire sur un morceau de papier qui te sert de pense-bête
« déposer chèque Espagne à son père ». Je comprends
que cet été tu pars en vacances en Espagne, cela m'attriste.
Puis
je te cherche, dans le noir, je ne parviens pas à allumer les
lumières. Lorsque tu réapparais je te dis que je croyais qu'il n'y
avait plus d'électricité. Je pensais qu'on déjeunerait à la
maison mais, malgré le crustacé en train de cuire, on va au
restaurant, probablement pour marquer le fait qu'on ne va pas se voir
pendant longtemps. On se serre à nouveau. Beaucoup de monde au
restaurant, on se dit que c'est l'heure de pointe.
Brève
auto-analyse. Comme souvent dans mes rêves le chat représente mon
désir, pas seulement sexuel. Mon inconscient me dit que ce que je
voulais être et faire avec toi n'avait rien d'effrayant ni de
monstrueux. Toujours cette interrogation : qu'est-ce que j'ai
fait de mal. Réponse rassurante : rien. La symbolique « je
vis dans les ténèbres lorsque tu n'es pas là » me fait rire
autant qu'elle me désole, j'ai du mal avec ce qui a été
interrompu, je ne trouve pas les interrupteurs, je veux rallumer la
flamme...pff si j'en suis réellement là, la route est encore
longue. Plusieurs éléments (chemise, pense-bête, restaurant) me
font penser qu'il est aussi question de mon père dans ce rêve.
Pour finir, quid de ce crustacé (beaucoup de pattes, une sorte
d'araignée de mer) ?
4 août
2015. Un rêve dont il ne me reste qu'une impression un peu floue. Un
sexe en érection qui pourrait être le tien. Jusqu'à quand vas-tu
imprégner les personnages d'homme dont je rêve ?
Ma
mère repart en Sicile en septembre. Elle aurait besoin du guide que
tu avais prêté à ma sœur. Malaise quand elle se rend compte qu'il
n'était pas à moi et que je n'y ai plus accès. Alors même qu'on
n'a jamais vraiment parlé de toi, tu deviens un sujet tabou.
Août
2015. Je rêve de toi un jour sur deux en moyenne : tu me dis
que tu m'aimes, nous avons un rapport sexuel, tu m'appelles ma puce
(pour celui-là je pense que c'est lié au fait que mademoiselle A. a chopé des
poux). Quand cesseras-tu de me hanter ? Je me pose cette
question dans la caravane où je passe quelques jours. Et je me rends
compte, en écrivant ces lignes à la rentrée, que je me la posais
déjà avant de partir en vacances. On dirait bien que je stagne.
22
août 2015. Le message que tu m'as envoyé pour mon anniversaire à
propos de ma nouvelle adresse : je te reconnais bien là, dans
cette manie de stalker les gens. Je crois que si tu n'avais rien
envoyé, j'aurais été déçue. Je prends un plaisir mauvais à ne
pas te répondre. Je pleure longtemps avant de m'endormir.
9
septembre 2015. Je suis étonnée qu'il y ait autant de monde au
concert de Sufjan Stevens, j'en oublie de penser à ta présence
éventuelle. La nuit je rêve de ton sexe qui grossit dans ma main.
12
septembre 2015. Je pense beaucoup à ton anniversaire la semaine qui
précède mais bizarrement, le jour même c'est Facebook qui me le
rappelle puisque c'est aussi celui de G. Je ne t'envoie pas de
message, ça ne me paraît pas avoir de sens. C'est aussi pour me
prémunir contre l'espoir, plus ou moins inconscient, de renouer une
quelconque forme de relation. Je sais que même un échange banal de
SMS peut relancer ma machine qui a bien trop tourné à vide avant
que je ne finisse par dire stop.
La
nuit je rêve, pour changer, qu'on se retrouve. Je te demande :
Alors quoi de neuf depuis le mois de...et on achève en cœur
(en cœur ! Ah ah)...novembre. Tu réponds que tu as une
voiture. Comme souvent dans ces rêves de retrouvailles, l'étreinte
est douce et apaisante. Quel soulag ! Au réveil la sensation
persiste et je mets un moment à prendre conscience que ce n'était
qu'un rêve. Le soulag se transforme en déception jusqu'à ce que je
me souvienne que l'histoire ne fonctionnait pas. Je trouve
complètement dingue qu'il me faille, encore et encore, refaire ce
cheminement, me convaincre, encore et encore, que ce n'était pas
possible entre nous. Mais c'est dur parce que même si de façon
rationnelle je pouvais voir tout ce qui n'allait pas et qui ne
changerait probablement jamais, au fond de moi je n'avais tellement
pas envie que ça s'arrête que j'ai dû me faire violence. Et d'une
certaine façon je suis encore sous le choc. Merde alors.
22
septembre 2015. Je rêve de toi encore. Mais cette fois c'est
différent, c'est un règlement de compte. J'énumère les faits, je
veux comprendre, tu n'as pas été sincère et je finis par te
traiter de connard. Au réveil je suis bien. Probablement parce que
ce rêve m'a permis de te dire que je ne suis pas dupe, que tu m'as
prise pour une conne mais que c'est toi le connard. Ah ah. On dit que la colère est une phase du deuil. J'espère.